mercredi 28 octobre 2015

La plage de la photo qui a bousculé le monde

En mémoire au petit Aylan, et à tous ces enfants, victimes innocentes, une photo de cette plage turque qui l'a recueilli  après que la mer lui ai pris la vie.

lundi 19 octobre 2015

L'Appel « Scientifiques et citoyens : une mobilisation décisive face aux enjeux climatiques»


Nous, scientifiques de toutes disciplines et acteurs de la société civile favorisant les liens sciences-société,
alertons les autorités sur la situation critique dans laquelle nous sommes. Face à l’insuffisance des
décisions prises pour répondre aux conséquences des changements globaux, et plus particulièrement du
dérèglement climatique, objet de la COP 21 en décembre 2015, il est temps d'agir.
L’urgence absolue de diminution des émissions de gaz à effet de serre et de la lutte contre les impacts
s’inscrit dans la nécessité de construire un autre modèle social et économique, et de se donner les
moyens de le faire aboutir par des mesures prises à tous les niveaux de décision.
C'est en allant à la rencontre des citoyens, des acteurs des territoires et en confortant l'état des connaissances
de chacun, en les expérimentant sur le terrain que nous pourrons espérer non seulement une appropriation
plus large des questions mais aussi une capacité des citoyens à réagir et participer pleinement aux
transitions écologiques et sociales.
Au-delà des moyens matériels nécessaires, un nouveau mode de production et d'appropriation
des connaissances doit être au centre d'un travail collectif pour une lutte efficace contre le dérèglement climatique.
La COP21 doit mobiliser toute notre énergie pour faire avancer significativement ces questions.
C'est dans cette perspective offensive que nous vous lançons un appel pour :
  • S'engager au quotidien dans des activités éducatives et pédagogiques : Il est primordial de diffuser auprès du grand public la réalité des enjeux techno-scientifiques auxquels la société est confrontée.
  • Elaborer et promouvoir de nouveaux modes de transmission et d'appropriation des connaissances : Donnons les moyens aux citoyens, quel que soit leur âge, de mieux appréhender les changements globaux et d'être acteurs des mutations en cours et à venir.
  • Construire de nouvelles alliances entre scientifiques et acteurs des territoires : La démarche est déterminante pour élaborer de façon constructive et participative les politiques de lutte et d'adaptation au changement climatique.
C'est autant une question de démocratie que de survie. Et le temps presse !

*Cet appel est lancé à l'initiative de l'Association française des Petits Débrouillards

Pour rejoindre l'Appel, rendez-vous ici 

De l’utilité des sciences humaines et sociales pour celles qui ne le sont pas.

Sophie et Philippe se rencontrent au Quartier Latin. Amis, ils ne s’étaient pas vus depuis un
moment. Philippe est physicien, et vient d’être recruté au CNRS. Sophie est doctorante en
sociologie des sciences. Ils vont prendre un pot.
Philippe. Alors, que deviens-tu ?
Sophie. Eh bien je travaille sur ma thèse et justement, je voulais te voir pour en parler.
Phi. Oh moi, tu sais, les sciences sociales…
So. Rassure-toi, ce n’est pas comme conseiller mais comme objet d’études que j’ai


besoin de toi.
Phi. Je ne sais pas si ça me rassure, car je ne comprends pas bien en quoi je peux t’être
utile. Quel est donc le sujet de ta thèse ?
So. C’est la notion de vérité dans les sciences physiques contemporaines.
Phi. Ce n’est pas plutôt de la philo, ça ? De l’épistémologie ?
So. Evidemment, cela y touche, mais ce qui m’intéresse, ce n’est pas tant la notion
abstraite de vérité que la façon dont elle est élaborée, vécue et utilisée dans la
pratique collective des physiciens. C’est là-dessus que je veux t’interroger
longuement un jour — si tu l’acceptes.
Phi. Mais que pourrais-je te répondre? La vérité, nous la cherchons, et parfois nous la
trouvons. Qu’y a-t-il d’autre à dire ?
So. Eh bien, il faudrait pour commencer que tu m’expliques ce qui vous convainc que
vous l’avez trouvée, cette vérité.
Phi. Tu m’inquiètes. Je pressens dans ton questionnement un certain relativisme à la
mode, selon lequel il n’y aurait pas de vérité scientifique absolue. Nombre de tes
collègues ne pensent-ils pas que les résultats de la recherche scientifique dépendent
du contexte social et culturel et n’ont pas de validité intrinsèque ?
So. Je crains quant à moi que tu ne confondes le relativisme, qui existe certes mais
n’est guère répandu ni menaçant en France en tout cas, avec le constructivisme
épistémique, qui met en évidence les conditions dans lesquelles s’opère le travail
scientifique et qui le contraignent.
Phi. Tu peux être plus précise ? En quoi la validité d’une théorie ou le résultat d’une
expérience pourraient-ils dépendre de ces conditions ?

So. Je sais que tu travailles en physique des particules et fais partie de l’équipe du
CERN qui a mis en évidence le fameux boson de Higgs. Or, pour que vous puissiez
effectuer cette expérience, il a bien fallu construire l’accélérateur LHC et ses
détecteurs gigantesques, ce qui a coûté quelques milliards d’euros, non ? Et la
décision de mener à bien ce projet n’a-t-elle pas dû être prise au plus haut niveau de
la responsabilité politique de plusieurs pays européens, c’est-à-dire en dehors des
institutions scientifiques elles-mêmes ?
Phi. Certes, mais le boson de Higgs existe bel et bien, indépendamment des
institutions, des humains et des machines qui ont permis sa découverte !
So. Mais imagine que la décision de construire le LHC n’ait pas été prise, il y a déjà
plus de vingt ans. Cette vérité, « le boson de Higgs existe », n’en serait pas une
aujourd’hui, et ce, pour des raisons politiques et non pas épistémologiques. Est-ce
inconcevable pour toi ?
Phi. Il est vrai que les Américains qui étaient eux aussi partis à la recherche du Higgs,
ont abandonné leur projet SSC d’accélérateur géant dès 1993 — non sans avoir
dépensé 2 milliards de dollars, en vain donc — le Congrès états-unien ayant estimé
que le jeu n’en valait pas la chandelle.
So. Tu m’accordes donc que le cadre social dans lequel la science contemporaine
travaille délimite assez sévèrement le champ des vérités qui lui sont accessibles ? Et
nous ne parlons ici que de physique. Mais nos collègues biologistes ont des
exemples encore bien plus convaincants, montrant comment les intérêts des
multinationales de la pharmacologie contraignent les possibilités de recherche dans
les sciences de la vie.
Phi. Soit, mais conviens à ton tour que, si le « champ des vérités accessibles », comme
tu dis, est ainsi restreint, cela ne disqualifie en rien le statut de vérité des résultats
obtenus dans ce champ.
So. Je ne souhaiterais pour rien au monde avoir l’air de mettre en cause l’intérêt et la
qualité générale des résultats de la science contemporaine, mais je voudrais
comprendre, sans plus revenir sur la question des contraintes externes, politiques,
économiques, etc., la nature profonde de vos convictions intimes, à vous physiciens,
quant à la véracité de vos conclusions.
Phi. Si je te suis bien, ta thèse de sociologie brasse à la fois de la politique, de
l’économie et maintenant de la psychologie ?
So. Brasser, c’est trop dire, mais y toucher certes. Comment veux-tu isoler une
science sociale et humaine des autres ? On ne peut séparer la sociologie des domaines
adjacents, même si elle a ses propres méthodologies.
Phi. Ah tiens, parlons-en, de méthodologie ! Pour mettre en évidence le boson de
Higgs, nous avons étudié des centaines de milliers de milliards de collisions entre
particules, et fait des analyses statistiques d’une précision et d’une sophistication
extrêmes. Et toi, tu vas aller interroger, quoi, quelques dizaines de physiciens au plus
et en tirer des conclusions ? Mais quel sera le degré de fiabilité de ton
argumentation ?

So. Si tu veux me faire dire que nos démarches, dans les sciences sociales et
humaines, n’ont pas la rigueur et l’exactitude de celles de la physique, j’en conviens
bien volontiers. Mais ne vois-tu pas que nous étudions des objets d’une complexité
incommensurablement plus grande les vôtres ? Un groupe humain est d’une richesse
sans commune mesure avec un ensemble d’électrons. Pas étonnant que des outils
aussi précis et donc aussi fragiles que les vôtres soient inadaptés : tu ne peux équarrir
un tronc d’arbre avec un scalpel !
Phi. Dont acte.
So. Je veux revenir à ma question centrale : qu’est ce qui te fait accepter l’existence du
boson de Higgs comme une vérité certaine ? On dit souvent que le test ultime de la
vérité scientifique est la reproductibilité d’une expérience. Pourtant, me trompé-je ou
bien votre expérience n’a-t-elle pas été refaite ?
Phi. Non, cela reviendrait bien trop cher de dupliquer une manip aussi lourde et
longue.
So. Tu vois donc qu’un critère classique de la vérité scientifique n’est plus valide, et
je pense que cela est vrai dans la plupart des expériences de science lourde ?
Phi. Oui, certes.
So. Ce qui veut dire que la science telle que vous la faîtes maintenant est fort
différente de celle, mettons, du dix-neuvième siècle et que la plupart des discours
que l’on tient sur elle et des représentations qu’on s’en fait, y compris chez les
chercheurs, ne sont plus guère adaptées à sa réalité. Ne crois-tu pas qu’il serait
nécessaire, pour mieux maîtriser et orienter le développement de la science
contemporaine, de mieux connaître la façon dont elle a évolué ?
Phi. Ah, c’est l’histoire des sciences à quoi tu me convies maintenant. Pourquoi pas.
Mais pour en revenir à la question de la vérité, il y a heureusement bien d’autres
critères que la reproductibilité qui nous font accepter la validité d’un résultat.
So. A savoir ?
Phi. Eh bien , le fait que ce résultat confirme une prédiction théorique, ce qui est bien
le cas pour le boson de Higgs.
So. Alors, cela veut dire qu’un résultat non prévu sera plus difficile à accepter ?
Phi. Oui, et c’est normal. On peut prendre l’exemple de l’annonce en 2012 par une
équipe de collègues du CERN de neutrinos supraluminiques, assez rapidement
démentie. Ce cas montre bien l’efficacité des mécanismes de correction de la science
actuelle et conforte notre confiance en sa véracité.
So. Il n’empêche que, pendant des mois, nombre de physiciens y ont cru à ces
neutrinos, et que des centaines d’articles théoriques ont été publiés pour tenter
d’expliquer un phénomène qui n’existait pas. Ce qui m’intéresse est justement
d’analyser ces effets de croyance : pourquoi et comment certains ont-ils acquis
suffisamment de conviction pour s’engager dans cette voie ?

Phi. Mais l’attrait de la nouveauté, je dirais même le goût du risque ! L’enjeu était
révolutionnaire et d’aucuns ont estimé que cela valait vraiment la peine de se lancer
dans cette aventure. Je t’accorde d’ailleurs que le défi n’était pas seulement
scientifique, mais que des considérations de compétition professionnelle, de notoriété
publique, d’accès aux financements, ont joué un rôle important.
So. Eh bien, c’est toi qui te mets à sociologiser maintenant ! Mais j’ai encore un autre
type de questionnement sur lequel il faudra que nous revenions plus longuement.
Voilà : une vérité scientifique, ce n’est pas une idée pure, c’est un énoncé concret, mis
en mots, même si, en physique en tout cas, il peut reposer sur un formalisme
mathématique sous-jacent. Je me trompe ?
Phi. Non, bien sûr, même quand nous discutons d’un développement mathématique
très sophistiqué, nous parlons !
So. C’est là que je veux en venir : comment jugez-vous de l’adéquation entre les
termes que vous utilisez et leur contenu conceptuel ?
Phi. Je t’avoue que nous ne nous posons guère la question en général, puisque,
justement, l’arrière-plan formel définit la référence du mot utilisé et garantit sa
signification.
So. « Garantit », tu en es certain ? Quand vous utilisez des termes aussi concrets que
« supercordes », « trous noirs » ou « big bang », peux-tu m’assurer que le statut
métaphorique de ces expressions ne contamine pas le sens que vous leur accordez ?
Quand on constate les incompréhensions et malentendus que sème l’emploi
médiatique de ces images, on ne peut que se demander, excuse-moi de paraître
outrecuidante, si vous n’êtes pas vous-même quelque peu victimes de vos abus de
langage ?
Phi. Alors maintenant tu veux m’entraîner du côté de la linguistique ? Mais, oui, je
veux bien en reparler avec toi un jour. J’ai effectivement constaté que certains de ces
termes avaient une charge sémantique qui pesait parfois sur mes propres
représentations.
So. Alors merci d’accepter d’être l’un de mes cobayes. On prend rapidement rendezvous
pour une séance de travail ?
Phi. C’est d’accord et d’ici là je vais repenser à tout ça. Tu sais, je me dis au fond que
les institutions scientifiques, tant les universités que le CNRS, exploitent bien mal
leur pluralité. Tout le monde parle d’interdisciplinarité comme si c’était une panacée
universelle dès qu’un thème de recherche est un peu complexe, mais les résultats
sont assez maigres pour ce que j’en sais. Peut-être faudrait-il s’y prendre bien plus en
aval, et, au niveau même de la formation des scientifiques, que ce soit dans les écoles
doctorales, dans les journées d’accueil des chercheurs entrants ou dans des stages de
perfectionnement, organiser des rencontres et échanges systématiques entre
chercheurs en sciences humaines et sociales…
So. …et chercheurs en sciences inhumaines et asociales ! Pardon… Mais en voilà une
idée qu’elle est bonne. Si on élaborait un peu ce projet ?

Jean-Marc Lévy-Leblond, Paru dans VRS (La Vie de la recherche scientifique), n° 399, décembre 2014, pp. 19-­‐20)

samedi 17 octobre 2015

Les fractures numériques ne sont pas toujours là où on le pense

 Le mythe selon lequel les étudiants «digital natives» ou génération née avec le numérique et Internet seraient plus à l'aise avec ces technologies est un raccourci à éviter. Ils sont encore moins nombreux à avoir ces compétences, écoute, esprit critiques et  capacité de recul vis-à-vis des outils numériques.

Ce constat explique leurs relatives réticences à entrer dans le secteur numérique malgré un développement constant. L'attrait pour le « faire » (vague du DIY) par opposition au « virtuel » guide souvent leurs choix de formation. Il ne faut pas confondre l’exposition aux technologies et la compétence numérique.

C'est en gagnant en maturité et après des années d'expériences que l'attrait pour les métiers liés au numérique, espaces d'échanges et de partages d'expériences, leur semble plus pertinent. Il est vrai que on ne peut attaquer de front ces pratiques sans leur avoir préalablement
permis une meilleure compréhension des besoins & enjeux de tels métiers. 

P.Guinche. 


vendredi 16 octobre 2015

Déclaration de Philippe Meyrieu, pédagogue

"Nous vivons, pour la première fois, dans une société où l'immense majorité des enfants qui viennent au monde sont des enfants désirés. Cela entraîne un renversement radical : jadis, la famille "faisait des enfants", aujourd'hui, c'est l'enfant qui fait la famille. En venant combler notre désir, l'enfant a changé de statut et est devenu notre maître : nous ne pouvons rien lui refuser, au risque de devenir de "mauvais parents"...
Ce phénomène a été enrôlé par le libéralisme marchand : la société de consommation met, en effet, à notre disposition une infinité de gadgets que nous n'avons qu'à acheter pour satisfaire les caprices de notre progéniture.
Cette conjonction entre un phénomène démographique et l'émergence du caprice mondialisé, dans une économie qui fait de la pulsion d'achat la matrice du comportement humain, ébranle les configurations traditionnelles du système scolaire.
Pour avoir enseigné récemment en CM2 après une interruption de plusieurs années, je n'ai pas tant été frappé par la baisse du niveau que par l'extraordinaire difficulté à contenir une classe qui s'apparente à une cocotte-minute.
Dans l'ensemble, les élèves ne sont pas violents ou agressifs, mais ils ne tiennent pas en place. Le professeur doit passer son temps à tenter de construire ou de rétablir un cadre structurant. Il est souvent acculé à pratiquer une "pédagogie de garçon de café", courant de l'un à l'autre pour répéter individuellement une consigne pourtant donnée collectivement, calmant les uns, remettant les autres au travail.
Il est vampirisé par une demande permanente d'interlocution individuée. Il s'épuise à faire baisser la tension pour obtenir l'attention. Dans le monde du zapping et de la communication "en temps réel", avec une surenchère permanente des effets qui sollicite la réaction pulsionnelle immédiate, il devient de plus en plus difficile de "faire l'école". Beaucoup de collègues buttent au quotidien sur l'impossibilité de procéder à ce que Gabriel Madinier définissait comme l'expression même de l'intelligence, "l'inversion de la dispersion".
Dès lors que certains parents n'élèvent plus leurs enfants dans le souci du collectif, mais en vue de leur épanouissement personnel, faut-il déplorer que la culture ne soit plus une valeur partagée."